15 décembre 2016. Quand les signes vitaux de mon fils Thomas (âgé de 27 mois) ont décliné dangereusement et que ses yeux se sont révulsés, j’ai éclaté en sanglots. Je croyais que mon bébé allait mourir. La pédiatre-urgentologue a vu mon désespoir et, tout en donnant des directives pour que Thomas soit transféré à l’étage et qu’on lui administre des antibiotiques, elle m’a pointé son orteil : « Depuis quand a-t-il ça? »
Quelques jours plus tôt, Thomas s’était plaint d’une douleur au pied en disant « Bobo là ». On avait beau regarder, tout semblait normal. S’était-il foulé l’orteil en courant dans la maison ? Aucune enflure, pourtant. Aucune blessure apparente.
Le lendemain, il était fiévreux. Après une dose de Tylénol, je me suis couché près de lui et endormi. Je me suis réveillé subitement alors que mon fils me vomissait dessus. Une intoxication alimentaire, nous sommes-nous dit. Ce que nous a confirmé Info-Santé quand j’ai expliqué les symptômes à l’infirmière de garde au téléphone. Le lendemain, je suis allé voir notre pédiatre qui a examiné Thomas et qui nous a dit qu’un vilain virus de la gastro courait ces jours-ci chez ses jeunes patients.
Pendant la soirée, le corps de mon fils s’est recouvert de plaques rouges. Il était encore fiévreux et très maussade. Ma blonde Mélanie a dit : « On va à l’hôpital ». J’ai dit : « On peut attendre à demain et lui donner du Bénadryl. » Elle a répondu : « Non, on va à l’hôpital. C’est pas normal. » Donc, direction Sainte-Justine.
Arrivés à l’urgence, Thomas était très irritable. Il hurlait de façon spectaculaire, assez pour éveiller les soupçons de la responsable du triage. Thomas refusait d’enfiler la jaquette d’hôpital, chaque fois qu’on le touchait il hurlait davantage. On lui a fait une prise de sang (pas moi, l’infirmière!) et on a attendu longuement les résultats dans une chambre en observation à l’urgence.
Aux petites heures du matin, l’orteil de Thomas avait changé de façon spectaculaire. Il était violacé, l’ongle tout déformé et son pied très enflé.
Aux petites heures du matin, l’orteil de Thomas avait changé de façon spectaculaire. Il était violacé, l’ongle tout déformé et son pied très enflé. Une urgentologue est arrivée précipitamment et elle a demandé de faire une culture de l’orteil et de lui donner une chambre à l’étage. Ma blonde qui revenait de la cafétéria a dit : « C’est la bactérie mangeuse de chair! » Rapidement, Thomas est devenu livide, ses bras retombant mollement quand on les soulevait. Une autre pédiatre est arrivée et a ordonné qu’on administre trois puissants antibiotiques à Thomas. Me voyant pleurer, elle m’a dit : « Ne vous inquiétez pas, votre fils est entre bonnes mains. » Je ne sais pas pourquoi, mais je l’ai crue.
Durant la première journée, plusieurs spécialistes se sont succédés dans la chambre de mon fils : immunologue, plasticien, etc. Tous cherchaient de quoi Thomas était atteint, alors qu’il était branché à un cocktail d’antibiotiques à large spectre. Ses signes vitaux étaient très bas. Il n’urinait plus. Ses reins étaient bloqués.
Si nous avions habité en région éloignée et qu’on avait attendu le lendemain avant d’aller à l’hôpital local, Thomas serait probablement mort.
Le verdict est finalement tombé trois jours plus tard, une fois le résultat des cultures obtenu : un staphylocoque aureus doré. Pour faire une histoire courte, si nous avions habité en région éloignée et qu’on avait attendu le lendemain avant d’aller à l’hôpital local (comme je l’avais proposé), Thomas serait probablement mort.
Ma blonde avait à moitié raison, ce staphylocoque était voisin de la bactérie mangeuse de chair. Cette dernière est nécrosante, celle de notre fils, mortelle.
J’ai dormi avec mon fils dans son lit d’hôpital pendant une semaine. Thomas reprenant peu à peu des forces avec les antibiotiques appropriés. J’ai vu le dévouement du personnel infirmier et médical. Je les ai vus faire des doubles quarts de travail régulièrement par manque de personnel (je sais que c’est un autre dossier, mais du temps supplémentaire, ce nest pas supposé être la routine normale, fin de l’éditorial). Merci à vous tous et toutes, spécialement à Dre Alix-Séguin pour avoir déclenché le processus et merci Nicolas Gagnon, l’infirmier qui nous a tant réconforté.
Quand nous avons eu notre congé, la veille de Noël, j’ai fait parvenir une caisse de bouteilles de champagne à ceux et celles qui ont soigné mon fils, pour leur signifier notre gratitude. Je me disais que travailler le jour de Noël, c’est pas super motivant. L’un d’eux m’a écrit via Messenger : Merci pour les bulles Monsieur Lepage, c’est très apprécié, mais vous savez, nous n’avons fait que notre travail, celui qu’on fait tous les jours avec nos petits malades. J’ai compris que pour ces gens-là, le travail est davantage une vocation, et que Noël est un jour comme les autres.
J’ai compris que pour ces gens-là, le travail est davantage une vocation, et que Noël est un jour comme les autres.
28 mai 2017. Retour à l’urgence. Thomas à une forte fièvre, des irruptions cutanées (encore!). Ma blonde se rend à l’urgence de Sainte-Justine. On lui prescrit Tylénol et Advil, Thomas réagit instantanément et il court partout comme le petit lapin Énergizer. Retour à la maison. Une fois les effets des médicaments passés, les symptômes reviennent. Visiblement, ça cache quelque chose. Retour à l’urgence. Encore une fois, la même urgentologue, Dre Alix-Séguin est sur place. Elle donne rendez-vous à Thomas le lendemain à la clinique de jour.
La pédiatre est assez inquiète pour demander que Thomas soit admis à l’hôpital sous observation. Il souffre cette fois-ci de la maladie de Kawasaki qui, non traitée, peut entrainer des anévrismes ou des lésions coronariennes permanentes. Il faut lui faire une transfusion d’immunoglobulines qui prend une douzaine d’heures. Il y a une petite chance que Thomas fasse une réaction mais c’est assez rare nous dit-on. Pas assez rare pour lui, car pendant la nuit, Thomas a une crise de convulsions. Une fois de plus, ma blonde et moi pensons que notre fils va y laisser sa peau tant la crise est violente. Le traitement est arrêté, il faut lui donner un autre médicament préventif avant de reprendre la transfusion. Le séjour s’allonge, mais le traitement fonctionne et Thomas reprend chaque jour des forces.
Nous sommes installés dans une autre aile de l’hôpital et je constate pendant une autre semaine, le même dévouement, le même professionnalisme, la même humanité du personnel que la fois précédente.
Nous sommes installés dans une autre aile de l’hôpital et je constate pendant une autre semaine, le même dévouement, le même professionnalisme, la même humanité du personnel que la fois précédente. Nicolas, notre ex-infirmier vient nous voir pour prendre des nouvelles après son quart de travail car il a entendu dire qu’on était de retour.
Étant donné que le Kawasaki de mon fils est »moins grave », (toute chose étant relative, on en meurt moins souvent et seulement à l’adolescence, lorsque non traité!) je profite de ce séjour pour arpenter les couloirs de l’hôpital avec Thomas, ragaillardi, qui trottine près de moi et je remarque que tous ces petits malades reçoivent la même attention que mon fils. Ce qui me rassure, autant que m’émeut.
Qu’un enfant développe un choc septique suite à une cellulite à aureus doré et qu’ensuite, il attrape le syndrome de Kawasaki six mois plus tard alors que les deux maladies ne sont pas reliées, est statistiquement si faible que gagner le gros lot du 6/49 devient hautement probable. Mélanie et moi n’avons pas acheté de billet de loto après ces deux incidents mais nous avons gagné bien mieux que ça : notre fils vivant et en santé grâce au personnel médical du CHU Sainte-Justine. Reconnaissance et respect pour la vie.
Mélanie et moi n’avons pas acheté de billet de loto après ces deux incidents mais nous avons gagné bien mieux que ça : notre fils vivant et en santé grâce au personnel médical du CHU Sainte-Justine. Reconnaissance et respect pour la vie.
Pour Sainte-Justine, ce n’était peut-être pas grand-chose, mais pour nous, c’était tout. Aujourd’hui, je serre mon fils dans mes bras et c’est avec une grande fierté d’être ambassadeur de la Fondation CHU Sainte-Justine.
À ma façon, je vais redonner à cette institution qui a tant fait pour notre famille. La Maladie d’amour m’a contaminé. À mon tour d’aider à ce qu’elle se propage.
*Les propos tenus dans cet article n’engagent que la personne signataire et ne doivent pas être considérés comme étant ceux de la Fondation CHU Sainte-Justine.