On nous a dit : « Retournez déballer les cadeaux à la maison. » Puis : « On vous attend à la première heure demain matin. » Le 24 décembre 2019, comme une claque en pleine face, le CHU Sainte-Justine est entré dans ma vie.
À l’issue d’un scan passé la veille à Trois-Rivières, des résultats dits « monstrueux » ne nous laissaient guère d’autre choix. Sur-le-champ, il nous fallait écourter nos célébrations pour faire un détour obligatoire par Sainte-Justine.
Le mot « cancer » a résonné dans ma tête bien avant d’être confirmé par les spécialistes.
Sans savoir, je savais.
Depuis un an, une lourde fatigue et d’ennuyeux maux de dos qu’aucun test ne parvenait à expliquer me terrassaient. « Rien d’anormal », nous répétait-on. L’adolescence et ses perturbations physiologiques restaient bonnes premières au banc des accusés. On aurait presque pu croire à une grippe.
Au fond de moi pourtant, c’était l’évidence : bien plus grave se tramait. Mais quoi, au juste? Qu’est-ce qu’une adolescente de 14 ans qui n’a auparavant jamais côtoyé la maladie était alors en droit de s’imaginer?
Tout sauf un cancer, ça va de soi.
Il faut dire que je partais de loin, dans tous les sens du terme. De mon petit village de Saint-Élie-de-Caxton, s’il y avait une chose que je considérais comme une affaire de vieux, c’était bien le cancer. Sainte-Justine était une réalité quasi abstraite : au plus près de moi, c’était la photo de l’enfant sur la tirelire du boucher, c’était les sous qu’on mettait parfois à l’intérieur.
Puis, un beau matin, cette réalité est devenue la mienne.
« Lymphome de Hodgkin, stade 3 », a-t-on annoncé, et ce qui me semblait jusqu’alors à mille lieues m’a prise d’assaut : j’étais de ces visages à accoler sur une tirelire. Eux, c’était aussi moi.
La peur de mourir s’est installée comme une invitée qu’on n’attend pas. Appartenir à cette réalité-là? Jamais, au grand jamais. Mais j’avais beau me débattre, j’étais forcée de m’abandonner, de trouver le courage, de faire confiance.
En moi, le petit village appelait soudainement le grand.
Le grand village et ses connaissances indispensables.
De deux protocoles thérapeutiques possibles, j’ai tranché pour le plus robuste, et j’ai accepté au passage que l’on congèle mes ovules au cas où mes traitements me rendent infertile. Parce qu’à Sainte-Justine, c’est aussi de l’avenir dont on prend soin.
Six cycles de chimiothérapie seront nécessaires pour neutraliser le cancer installé dans mes ganglions. Six cycles, 14 séances de radiothérapie et d’innombrables heures durant lesquelles, petit à petit, Sainte-Justine est devenu mon repère, ma forteresse.
Le grand village et ses humains
Ils et elles se prénomment Andréanne, Josette, Yvan, Delphine, Sophie. Au-delà de leur bagage et de leurs expertises mobilisées pour me sauver la vie, c’est surtout avec leur cœur, leur douceur, leur réconfort et leur écoute qu’ils et elles m’ont portée.
Au cœur du grand village de Sainte-Justine, il y a aussi ses vécus. Ceux qui soufflent, ceux qui lient.
Je me souviens d’une fois où mon père et sa guitare ont calmé une petite de 2 ans qui pleurait depuis des heures.
Puis il y a ces amitiés nouées, comme Alexe, ma belle Alexe et sa leucémie. Après des semaines à nous accrocher l’une à l’autre, de jour comme de nuit, elle a subitement cessé de répondre à mes textos. Pour toujours. Une perte abyssale et empreinte de dualité, alors que moi, je venais de tomber en rémission.
Bien sûr, la vie continue, après Sainte-Justine. Avec le temps, on parvient à traîner son courage en dehors de la forteresse. La colère s’estompe. La peur aussi. On se surprend à cesser d’appeler l’équipe clinique en panique dès qu’un petit virus émerge. Et cette chose qu’on appelle la résilience s’installe, et avec elle l’envie de redonner.
Aujourd’hui, je vais bien. J’étudie au Collège Brébeuf, le grand voisin de Sainte-Justine, et je rêve de devenir médecin.
D’ici là, cette année, j’attends avec impatience l’illumination du Grand sapin. Celle que vous rendrez possible pour des centaines de familles en quête d’espoir, comme la mienne l’a été.
Pendant les Fêtes, on veut être partout sauf à l’hôpital. Le reste de l’année aussi.
Moi, parce que ma vie en dépendait, j’ai fait un détour par Sainte-Justine le 24 décembre 2019.
En voiture, de Saint-Élie-de-Caxton, c’est deux heures à l’allée, deux heures au retour. Mais en temps de vie, en temps de deuils, en innocence perdue, en peur et en épreuves, c’est un détour beaucoup, beaucoup plus grand.
Merci d’éclairer la route de toutes les familles qui devront emprunter ce détour cette année.
Merci d’allumer vos lumières dans le Grand sapin de Sainte-Justine.
Marie-Fée Pellerin
Patiente du CHU Sainte-Justine et fière ambassadrice de la 16e édition de la campagne du Grand sapin de Sainte-Justine
*Les propos tenus dans cet article n’engagent que la personne signataire et ne doivent pas être considérés comme étant ceux de la Fondation CHU Sainte-Justine.